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       Someone turned the lights out there in Memphis,
       That's where my family's buried and gone.

       Last time I was there I noticed a space left,
       Next to them there in Memphis,
       In the damn back lawn.

         Lisa Marie Presley, Lights Out, 2003

     

    Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    Votre serviteur sera clair: ce n'est pas une chanteuse et elle n'a pas de carrière.

    En revanche, elle a une position unique dans l'univers musical, une voie chaotique dont est ressortie une production qui vaut largement la peine de s'y intéresser. Non par faiblesse, non par subjectivité, mais sur des bases très strictement artistiques et créatives. In fine, se pencher sur le travail de l'héritière offre à voir un exercice psychologique à la limite de la thérapie psychiatrique 2.0, et c'est ce qui la rend passionnante. Rien à voir avec la pauvre petite fille riche qui geint. Lisa est une boule de nerfs qui a rebondi comme dans un flipper tout au long de sa vie. Et miracle: non seulement elle n'est pas morte mais elle a trouvé l'envie d'en parler en de très bonnes chansons.

    Aux Etats Unis, le songwriting est une discipline observée avec soin et estimée à sa juste valeur. C'est un style et un courant en soi. Bob Dylan, Leonard Cohen, Cat Stevens, James Blunt sont de véritables songwriters. La voix n'est pas leur outil principal. Ce ne sont pas des bêtes de scènes, mais des monstres de composition et d'écriture, souvent repris à tour de bras par ceux qui ont le talent d'habiter leurs chansons qui ont la grâcce de supporter n'importe quel traitement. Leur fonction primaire, c'est d'allonger des accords, des mots et une production qui lie le tout de façon implacablement cohérente. Lisa Marie Presley, pour tous les haussements de sourcils que cela peut provoquer, est de cette famille-là. Pas un gramme de Bitney Spears en elle. Ni de Lady Gaga. Du rock, des racines, un passé, un regard unique sur ce qui l'entoure comme sur elle-même et des mots qui n'appartiennent qu'à elle. Ni pose ni provoc de fesses. Sa provoc à elle est autrement plus sérieuse (dead serious comme disait son père) parce qu'existentielle.

    Le jeu commence: dans la famille Presley, je demande la fille.Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    Elle porte donc un nom qui rend presque impossible une écoute objective de ce qu'elle fait. C'est regrettable. Et comme elle ne fait rien à moitié: une vie rangée, aussi douce qu'une brise de printemps, lui a collé une image à mi-chemin entre la dingue destroy et la poule à Jacko.

    Quand la princesse naît, le 1er février 1968, maman Priscilla porte une choucroute invraisemblable noir corbeau, comme les tifs à papa. Lui, on ne le présente plus. C'est le seul mythe US à avoir engendré une descendance. Bon, so what?

    Lisa Marie grandit d'abord dans le foyer familial, à Graceland la plupart du temps mais aussi dans les maisons de Papa, à Palm Springs ou à Holmby Hills, à 8 mètre d'un manoir qui deviendra très connu 40 ans plus tard lorsqu'il abritera le dernier soupir d'un certain Michael Jackson, ou encore dans le gigantesque penthouse de Presley à Vegas quand daddy bosse dans le coin. Elle l'accompagne très vite sur certaines tournées aussi, voit son père dans son rôle de Dieu vivant sur scène, petite fille de 5 ou 6 ans encerclée de bodyguards, au milieu de milliers de nanas hurlantes et possédées au moindre mouvement de son paternel qu'elle assimile autant à un roi domestique impressionnant qu'à un homme câlin, tendre, qui la gâte et vient l'embrasser sans faute avant de dormir. Maman Priscilla gère l'aspect éducatif, plutôt strict. Lui s'occupe de réaliser le moindre de ses rêves. Elle veut voir la neige pour son anniversaire? Pas de problème: il affrète son Convair personnel, l'emmène dans les neiges du Colorado, et après quelques batailles et deux descentes de luge, retour à Memphis. Vison à 5 ans, bijoux en diamants au même âge, voiture conçue à sa taille, tout est bon.

      

    Lisa Marie Presley: Storm and Grace      Lisa Marie Presley: Storm and Grace     

      La baby girl et daddy au temps du bonheur...

    Lisa Marie Presley: Storm and Grace

     Lisa Marie Presley: Storm and Grace           Lisa Marie Presley: Storm and Grace

     Lisa Marie Presley: Storm and Grace

             Lisa Marie Presley: Storm and Grace 

              Le divorce à l'amiable laisse place à une garde partagée en bons termes. Excepté le fossé séparant l'éducation maternelle de celle fournie par le père. Néanmoins, Lisa Marie partage son temps entre Los Angeles chez maman et Memphis chez papa.

    L'entourage réalise rapidement que la gamine a bien compris comment les choses se passent et elle tyrannise la cour à la moindre contrariété. Menaçant de faire virer le premier qui lui dit non. Une peste qui écrase des grenouilles sous les pneus de sa voiture. Parfois violente aussi, donc. Et en colère. Cette colère noire, cette furie intérieure, elle mettra des années à la comprendre et à pouvoir l'expliquer. Avant de broder des chansons qui seront autant de confessions à son sujet.

    I heard what you said while it was raining

    Le mini-tyran laisse cependant la place à une gamine plus introvertie et extrêmement observatrice vers l'âge de 8 ans. Elle change du tout au tout. Ambiance de fin de règne oblige. Papa reste ce type "plein d'énergie et câlin, attentif et drôle" mais elle assiste au manège des fournisseurs de came autour de lui, aux messes basses, elle entend chaque réflexions et reste souvent couchée comme un chiot devant la porte de la chambre paternelle, attendant qu'il sorte pour s'assurer qu'il vit toujours. L'idée qu'Elvis claque en plein vol est à ce point présente à Graceland dans tout l'entourage qu'un jour, Lisa Marie dit à son papa: "Daddy, please don't die...", ce à quoi son père répond: "No honey, I won't"... Elle voit les pilules, elle le voit les avaler, elle l'observe regarder songeur les pelouses de Graceland et au-delà, les fans devant la grille, elle le voit pleurer quand il pense être seul, elle voit et retient tout. Elle veut le sauver. Elle a seulement neuf ans. 

    16 août 1977, Lisa Marie est à Graceland. Elle y passe ses vacances d'été, Priscilla a pensé que la présence de sa fille aiderait Elvis à sortir de sa léthargie dépressive qu'elle sait sévère. De fait, lorsque Lisa est là, ou

    Lisa Marie Presley: Storm and Gracequand Priscilla rend visite, Elvis se coupe d'office en quatre pour être beau, frais, rasé, parfumé, bref, parfait. On ne peut s'empêcher d'être triste pour cet homme considéré comme un King par des dizaines de millions d'admirateurs et qui se révèle être un homme maladroit et perdu devant son ex-femme et sa fille. Triste. Il lui loue le Liberty Ground, le parc d'attraction de Memphis, pendant une nuit entière, l'emmène voir le nouveau James Bond,

    "L'espion qui m'aimait", au Memphis Theater qu'il loue également rien que pour eux.                                                                                                  

                                                                                                                                                                                                  Graceland, été 1977...

      

    Sinking in

    La nuit du 15 au 16 août 1977, Elvis passe, comme chaque fois, pour l'embrasser dans son lit, lui chanter une chanson, et referme la porte après avoir murmuré un "goodnight sweetheart" rituel.

    Le 16 août, vers 14:30, quand Lisa Marie entend gueuler à l'étage, son sang ne fait qu'un tour. Elle dira plus tard qu'elle a su, tout de suite. Le chaos règne dans la salle de bain attenante à la chambre immense où trône un lit de trois mètres sur trois et l'un des témoins pense à fermer la porte d'entrée. Lisa fait le tour en courant, pénètre dans la salle de bain par une autre porte et voit son père bleu, recroquevillé, une expression de souffrance sur son visage violet qui s'est écrasé dans le vomi, la langue coupée en travers de la bouche close. Elle hurle et répète "what's wrong with my daddy?"... Cataclysme.

    Daddy n'a pas tenu parole.Lisa Marie Presley: Storm and Grace Le lendemain, alors que 35,000 personnes défilent devant le cercueil et qu'il y en a encore plus de 90,000 devant les grilles, lorsqu'elle demande à sa maman si elle peut passer un bracelet en argent qu'elle a acheté pour lui au poignet du cadavre figé et froid, elle le fait sans regarder le corps, les yeux au sol. Elle restera ainsi pendant pratiquement toute la veillée du 17 août, collée au cercueil de son père comme elle se collait à la porte de sa chambre auparavant pendant qu'il dormait, excepté qu'il ne se réveillera plus et qu'elle le sait. Lisa Marie Presley: Storm and GraceElle ressens dans son cœur de petite fille une impression dévastatrice d'échec, avec tout ce que suppose l'innocence de la perception enfantine de tels sentiments. Elle a voulu le protéger, de tout, de l'entourage cannibale qui ne pensait qu'à la came, au fric et aux filles devant la grille, de lui-même aussi, elle s'était désignée responsable de son papa en perdition. Lorsqu'Elvis meurt, l'enfer commence pour  Priscilla car l'enfance de sa fille est morte avec son père.

     

      

      

      

      

    Aux funérailles d'Elvis, le cri

    résonne pour longtemps: "what's wrong with my daddy?" 

    Can you take it back, can you make it go away? I wish I never knew this...

    Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    Lisa ado: fuck off.

    Lisa Marie rejoint sa maman à Los Angeles. Sa scolarité s'effondre, elle se rebelle très tôt, et ne supporte plus aucune autorité. Virée de tous les collèges du coin, elle fréquente dès 14 ans des mecs pas clean, des pourvoyeurs qui lui apprennent à sniffer, à boire, à baiser. Maman devient folle devant ce spectacle d'autodestruction qui semble être dans les gênes Presley. Lisa n'obtiendra pas de diplômes malgré les ambitions d'équilibre de sa mère, qui s'avère également accaparée par sa carrière et ne comprends pas le désespoir de sa fille. Pour Priscilla, c'est facile: Elvis c'est son ex, elle l'a quitté parce qu'il n'y avait pas de futur possible et qu'elle l'a compris un beau jour. Pour la gamine, ces éléments n'entrent pas en ligne de compte. A ses yeux, tout le monde s'est servi et se sert encore copieusement de son père et de son argent, de son prestige, de son pouvoir. Elle est en état de guerre totale.

     

    Un beau jour, Priscilla, entre deux tournages et trois amants, a l'idée de confier sa trainwreck d'adolescente aux bons soins de Ron Hubbard et de la scientologie appliquée. Laissons à la secte son seul mérite: même tordue, la structure minimale de l'enseignement permet d'éviter à Lisa une fin à la Winehouse. Exit les drogues -elle avait de toutes façons décidé d'arrêter le jour où elle s'est réveillée chez elle, défoncée, en observant des dizaines de convives comateux qu'elle ne connaissait absolument pas répartis dans ses canapés, étalés dans les chambres, sachets de poudre et seringues semés partout. Elle se transforme en jeune adulte discrètement, totalement à l'abris du monde, car sa mère a enfin réalisé une donné fondamentale: le public ne veut pas dire adieu à Elvis et le seul lien tangible avec lui, c'est Lisa. Elle se calme et lorsqu'elle réapparaît enfin en public, elle a 18 ans et chacun comprend pourquoi elle a disparu: sur son visage, les traits d'Elvis vivent. Une ressemblance perturbante, de l'ossature aux tics de sourire en coin, des paupières lourdes aux regards passant d'une seconde à l'autre de la plus grande tendresse à la menace, Lisa est Elvis réincarné.

    Lisa Marie Presley: Storm and Grace

     Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    Elle épouse Danny Keough, un obscur batteur mais gentil garçon avec qui elle est encore amie aujourd'hui. Il lui donne deux enfants, ce qui la mûrit encore un peu plus, les premiers petits enfants d'Elvis: Riley Keough et Benjamin Keough. Lisa s'emmerde un peu cependant et n'a rien réglé de l'ardoise assez lourde qu'elle garde face à la vie, à la mort, aux faux amis, à sa mère.

    Pose pour Versace, jeune femme de 20 ans possédant les traits, l'aura d'un mythe présent dans la mémoire collective.

    Si Priscilla n'a pas vraiment su quoi faire de sa fille les premières années, elle fut en revanche nettement plus inspirée par le business: en ouvrant Graceland aux touristes, en déposant une motion (acceptée au Congrès) d'en faire un bâtiment classé, elle a multiplié le patrimoine de sa fille de façon impressionnante: des 5 millions présents au décès d'Elvis, le bas de laine grimpe à cent millions à la majorité de Lisa qui, terrorisée à l'idée de n'être qu'un paquet de dollars comme son père l'a été, repousse l'héritage jusqu'à ses 25 ans. Car évidemment, la seule légataire du patrimoine paternel (testament signé en mars 1977), c'est elle et uniquement elle. Drogué peut-être, mais les idées encore claires, Elvis.Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    Lisa a commencé à écrire des chansons dans son coin depuis la fin de l'adolescence et reçoit plusieurs propositions de contrat pour les enregistrer. Elle refuse. Daddy encore, daddy toujours: comment oser présenter quoi que ce soit dans le champs discographique quand la comparaison va inévitablement revenir à l'ombre omniprésente et gigantesque du King? Alors elle écrit et chante ses compositions en démos. Confidentielles. Comme une gamine dans sa chambre.  

    So crucified, and a self-inflicted mess...

    En 1992, Lisa-Marie Presley est une mère de famille au patrimoine outrancier dû à l'inusable succès du papa (350 millions de dollars derrière elle, quand même...) et qui fuit pratiquement toute exposition médiatique. Elle a rencontré Michael Jackson, ou plus exactement revu, puisque papa le lui avait présenté en 1974: Michael et ses frères, qui allaient prendre sa suite sur la scène de Vegas, avec le patron qui donne quelques conseils aux gamins, leur fait part de son admiration, les frères Jackson qui n'en reviennent pas qu'il connaisse leur musique, et Lisa qui observe le tout.

    Près de 20 ans plus tard, les accusations de détournement de mineur s'abattent sur Jackson et la frénésie médiatique et judiciaire induit un stress de plus en plus ingérable pour l'icône. De rares amis restent publiquement à ses côtés: Liz Taylor évidemment mais aussi, nettement plus discrète -comme d'habitude-... Lisa-Marie.

    Ils se téléphonent des heures durant, chaque jour, au plus fort de la tempête. Et Lisa développe un sentiment mis en veilleuse depuis longtemps: son instinct protecteur, ce besoin de voler au secour et de sauver une figure à l'ombre démesurée. Jackson est le candidat idéal: la plus grande star du monde, recyclant les code du propre père de Lisa à tant de niveaux qu'on pourrait les associer de façon onirique, comme l'Elfe et le Titan. Jackson sait que son seul concurrent sérieux, c'est le défunt père de Lisa, il l'a toujours pensé, allant même jusqu'à demander un rendez-vous avec l'inénarrable Colonel Parker, pour connaître les secrets d'une emprise pareille sur l'inconscient collectif culturel et social occidental.

    Lisa ne le lâche pas une seconde, Michael peut lui téléphoner de jour comme de nuit, où qu'il soit dans le monde. Quand il tombe en morceaux à Mexico, elle est là. Liz Taylor aussi, que l'on voit. Lisa reste invisible et pourtant, elle a fait le déplacement.

    Chacun connaît l'histoire du mariage proposé au téléphone, célébré à St Domingue en quatrième vitesse et des mois qui suivront jusqu'à un divorce vite expédié. Ce que l'on sait moins, c'est que la relation des deux tourtereaux durera encore jusqu'en 2000, quatre années après le divorce donc. Problème de base: Michael voulait des enfants de Lisa, elle refusait de lui en donner devant le spectacle de sa vie de dingue, ses disparitions subites et surtout... les cachets, les seringues, qu'elle voit défiler comme un écho implacable de son propre passé. Ils conservent une relation physique très forte -malgré tous les commentaires ironiques sur ce mariage, il semble que l'élément fondateur de leur union passait par leur lit avant tout- et Lisa le pourchasse littérallement pour qu'il la reprenne. Lisa Marie Presley: Storm and GraceFolle amoureuse. Mais Jackson est Jackson, c'est à dire un homme submergé par ses propres mystères, vivant dans une galaxie parallèle et pour qui le rapport au vrai s'est quelque peu émoussé, doux euphémisme. 

    Lisa Marie Presley: Storm and GraceElle s'épuise à tenter le sauvetage, n'en retire qu'un effondrement total, physique comme psychologique, et prend enfin ses distances avec la folie Jackson au début des années 2000.

      

      

     

    Histoire pas finie: MJ et LMP piégés à la sortie d'un restaurant 2 ans après le divorce, 1998.

    Entretemps, pour les vint ans de la disparition d'Elvis, elle ose pour la première fois s'exposer: elle a enrégistré un duo avec lui, sur le titre "Don't cry daddy", et le public découvre son charisme -fort paternel il est vrai-, ses expressions et une voix au timbre bien particulier, une voix enfumée, sombre, qui semble résignée, sourde, puis monte dans des mediums métalliques ou coléreux.

    Lights out

    Lisa Marie Presley: Storm and GraceQue faire? Sa fortune n'en finit plus de croître, elle pourrait se laisser vivre, ou profiter, être une Paris Hilton du rock. Mais le sang Presley coule dans ses veines, alors si elle ne fait rien de constructif dans sa vie, elle se sent, selon ses propres dires, "comme une merde". En résumé, elle s'installe à peine dans la communauté que déjà la clique des pétasses los-angeliennes (Spears, Hilton, Aguilera et consorts) la gave. Seule copine, puis amie (Lisa fêtera sa dernière baby shower chez elle), P!nk. Une admiration mutuelle les lie, ainsi qu'une évidente ressemblance, pour tout dire on les croirait soeurs.

    Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    Jusqu'à présent, le public la connaît de notoriété, mais elle s'est montrée d'une discrétion farouche et susceptible, on sait peut qui elle est. L'exposition a commencée avec le mariage Jackson et les déboires qui ont suivis.

    Dans les interviews, Lisa apparaît comme une femme blessée et assez revencharde. Mais loyale. Pas de saloperies sur Michael mais une tendance à l'ironie avec laquelle ils en prennent tous deux pour leur grade. Elle se réserve également le droit de bien faire comprendre l'ambivalence de ses sentiments, qui oscillent entre regret et colère. Une femme larguée et encore amoureuse, quoi. Invariablement, on l'interroge d'abord sur deux sujets prioritaires: Elvis et Jackson. Elle répond avec une franchise désarmante et parfois brutale sur les deux sujets, mais montre des signes d'agacement au bout d'un moment. Son père surtout reste un terrain miné, privé, en forme de chasse gardée. Les larmes lui viennent assez facilement lorsqu'elle l'évoque, elle coupe court et le lecteur s'interroge quand elle explique sa fascination pour le personnage de Darth Vador, le père universel de la Guerre des étoiles, dont elle collectionne les figurines en expliquant le plus sérieusement du monde au journaliste de Rolling Stone venu l'interroger que pour elle, Vador et son père son associés sans qu'elle parvienne à comprendre pourquoi.

    S'ensuivent au niveau privé des unions participant à un festival de grand n'importe-quoi, Nicolas Cage, collectionneur d'Elvis acharné, fan presque barge, qui s'approprie le trophée ultime comme un objet: sa fille, d'autres encore, la bague, rupture quelques mois plus tard, elle saute un fusible.

    Enfin, Michael Lockwood croise son chemin, bassiste que personne ne connaît, mais il trouve visiblement le moyen de la canaliser et elle se pose.

    Et elle recommence à écrire.

    Et elle se dit qu'elle va envoyer promener les comparaisons, les jugements, tout, tant pis, elle va le faire. Direction le studio, partitions et textes (qu'elle signe tous sans exceptions) sous le bras.

    To whom it may concern

    Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    Le premier album, "To whom it may concern", sort en 2003. Surprise, il est réellement très bon.

    Bien entendu, il n'évite pas le piège de la surproduction par moments et offre une noirceur glauque assumée. Comment cette jeune femme, dans sa position, nageant dans une mer de pognon (on y revient toujours) peut-elle écrire des choses aussi dures?

    Les textes de Lisa reflètent une personnalité paradoxale et une colère enfin extériorisée. Sans l'ombre d'un doute, elle écrit majoritairement de façon autobiographique, dévoilant des tranches de vie, une solitude effrayante, des névroses lancinantes. On la découvre enfin en interviews. Du relief, une vision, et -surprise amusante- le langage de charretier de son père. Lisa jure toutes les deux phrases, exprime les choses brut de décoffrage. Jackson adorait cela chez elle mais s'interdisait de la rejoindre sur ce terrain publiquement, effrayé par le changement d'image. Chez elle, c'est naturel. A tel point que le sigle de ralliement (t-shirt, autographes, batterie sur scène) est LMFP: Lisa Marie Fucking Presley. On fait pas plus délicat.Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    L'album offre de prime abord une pop/rock-country dans la lignée de Sherryl Crowe ou -évidemment- P!nk. C'est bien produit, mélodiquement réussi et les textes sont de hautes volée. Quelques critiques lui reprocheront (il fallait s'y attendre) deux choses principales: un son trop conventionnel (affaire de goûts selon votre serviteur) et une voix enfumée à l'opposé de celle de son père.

    On ne soulignera pas la bêtise d'un semblable argument. Ce qui est en revanche exact, c'est que Lisa semble complexer quant à sa voix et tente parfois de la dissimuler derrière des couches de pistes, comme si elle n'osait pas complètement s'affirmer sur certains titres. Elle s'est donné les moyens d'exposer ce qu'elle fait tout en donnant l'impression diffuse d'être sous la coupe d'une timidité qui la poursuit.

    Quoi qu'il en soit, le résultat est une vraie réussite critique et commerciale et donne tout à coup du corps à un personnage dont on ne savait rien.

    Le titre d'ouverture, SOB (pour son of a bitch) donne le ton: couplets saignants et ironiques, refrains puissants et coléreux, musique et texte poisseux et désabusés:

    You say I seem so grim, darling do you forgive me ?
    I went out on a limb 'cause I needed to be
    Near the fireflies flying high above me
    Then I hit the sky and it fell down on me

    You said it wasn't sharp but I cut my finger
    You said it just wouldn't burn and I scarred my face

    You know I bite my nails, my skin and my fingers
    And I've heard that's my liver, my nerves and my brain
    I said I just like to bite on my fucking fingers
    Do you have another intelligent answer for me today

    You said it wasn't sharp but I cut my finger
    You said it just wouldn't burn and I scarred my face
    You said it just wasn't there when it fell down on me
    Well I'm just a son of a bitch no matter what you say

    I lost my trust in you
    You were dangerous and scary
    And you poisoned me with the fruits everyone was intrigued by
    And I finally got buried

    You said I won't forget and I don't remember and
    You said I'm something I'm not and I fell on my face
    You said I wouldn't rot but worms are crawling on me
    I'm just a son of a bitch no matter what you say
    I'm just a son of a bitch no matter what you say

     

    Le titre éponyme permet à Lisa d'appuyer une croisade qui la touche de près: interdire les médicaments comportementaux aux enfants, pratique courantes aux USA et selon elle meilleur moyen d'en faire des futurs drogués. Quand elle prend la tête du mouvement jusqu'au congrès et qu'on lui demande si c'est son expérience personnelle qui parle, elle répond sans ciller: "oui". Bravache et pudique, comme d'habitude.

    Pour le reste, plusieurs sujets attendus sont plus qu'effleurés bien évidemment: Elvis dans "nobody noticed it", écrite après avoir vu une émission à laquelle participaient plusieurs membres de l'entourage, qui y décrivent complaisemment le patron en plein naufrage en oubliant -comme toujours- de préciser combien ils en ont profité, à quel point ils étaient eux-mêmes défoncés ou en train de se remplir les poches, les deux mains dans les coffres. Lisa pleure en voyant l'émission, elle reconnaît les visages de son enfance et ne peut croire ce qu'elle les entend raconter. Elle pense en elle-même: "ok, c'est de bonne guerre et c'est ce que vous avez toujours fait, mais ne lui enlevez pas sa dignité. C'était un homme digne et fier, ne touchez pas à ça". La chanson naît d'une traite, réminiscence d'orage sur le Tennessee, de ciel chargé, avec la silhouette de son père observant le monde extérieur par la fenêtre et les fans trempés devant la grille, et dont elle dit "I heard what you said while it was raining"... Autre thème attendu, Jackson qui est plus qu'évoqué dans "Sinking in", titre dans lequel elle lui parle avec intimité et brutalité, n'hésitant pas à balancer:

    And now look what's come of us here ten years later
    I jump from one to the other, you're still worrying your mother
    And I almost went under baby

    Elle continue à gérer l'aspect caritatif de sa vie également et s'y investit plus que jamais: Presley Place, un centre de réhabilitation pour jeunes, le Burn Center (l'aile des grands brûlés payée par son père et financée par elle aujourd'hui)... son patrimoine s'élève à présent à près d'un milliard de dollars US. Invraisemblable.

     

    Now what?Lisa Marie Presley: Storm and GraceLisa Marie Presley: Storm and Grace

    2007, second album, intitulé "Now what". Encore plus noir que le précédent mais tout aussi réussi, alliant l'excellent ("Turn to black", évocation de MJ assumée, "Idiot", "I'll figure it out", la cover de "Dirty Laundry", "Raven" pour maman, "Shine" en duo avec P!nk -les deux sont très amies) au passe-partout un peu paresseux ou, plus précisément, parfois démotivé sur deux titres. N'empêche, la production se calme un peu, la voix assume plus et on ne peut s'empêcher de trouver une réelle qualité poétique aux textes sombres et cyniques de la belle. L'aspect rythmique se fait mordant également, à la suite des paroles souvent d'une grande brutalité, voire carrément injurieuses.

     

    Ni pose ni recherche d'effets là-dedans. Quand Lisa demande, dans "Turn to black": "Did I stop computer Porn 'cause you didn't turn me on? No, I didn't.", il n'y a pas de complaisance, juste une franche rudeur de sentiments et d'émotions, bien ancrés dans leur époque.

    "Raven" est un hommage à sa maman, Priscilla Beaulieu, éternelle ex d'Elvis. Maman fûtée qui a permis à l'image du roi d'être projetée dans un avenir lointain, s'assurant de non seulement répondre aux attentes d'un public dont elle a saisi bien avant tout le monde l'étendue gigantesque, mais également de lui créer de nouvelles attentes et ce faisant, de faire quelque chose pour sa fille et... son défunt ex-mari. Car précisons que l'ex officielle n'a rien à retirer personnellement de cette entreprise: par testament, Elvis a exclu toute autre personne que Lisa de son patrimoine présent ou à venir, sous formed 'un trust, structure américaine classique.                                                                                                                                                                                                                  

    La relation Lisa / maman a été rock'n roll, c'est le moins que l'on puisse dire. Lisa, ayant hérité du tempérament de papa, supporte mal la distinction empruntée de sa mère, ses choix de vie, sesLisa Marie Presley: Storm and Grace compagnons distingués, son réel côté Bree Van de Kamp. Mais elle admire également son intelligence, sa force de caractère: Prisc' a mis littérallement à genoux les marchands du temple qui pillaient sans vergogne dans ce qu'elle considère comme la propriété de sa fille, des labels pirates en passant par les fabricants de t-shirts, tout ce qui n'était pas officiel a bénéficié d'une politique procédurière et intransigeante, allant même, Graal absolu, jusqu'à venger Elvis du Colonel en traînant ce dernier en justice en 1981 pour abus de confiance, etc. Le comble, elle a gagné, et c'est bien la première -et la seule- à être parvenue à non seulement éjecter le roublard manager mais en plus à l'avoir fait rendre gorge, entendez par là: récupérer tous les droits sur Elvis, chansons, films, exploitation, anciens contrats, tout! On peut dire beaucoup de choses à propos de Miss Beaulieu, mais idiote, certainement pas. Quand Lisa fait la paix avec elle, les deux femmes ont mûrit, elles se sont posées et observent avec un recul salvateur leurs destinées respectives, assez mouvementées. "Raven" est une chanson particulièrement intime à la production -et c'est rare chez Lisa Marie- plutôt électronique et aérienne. Un vol de corbeau en somme. La couleur des cheveux de sa maman à l'époque permet une digression réussie sur les aspects sombres de sa vie, la solitude de Priscilla à l'époque de la folie Elvis, son implication sincère pour réussir son mariage et la classe avec laquelle elle a géré la suite.

                                                                                                             Lisa et maman: il n'y a pas que la tenue qui soit rock'n roll

    Elle en profite pour partager avec son auditoire un crève-coeur: quand Lisa était petite, et que papa était en tournée loin d'elle, Maman Prisc' enregistrait des cassettes où la gamine chante des chansons pour son père, qu'elle lui faisait parvenir. "Raven" s'ouvre sur un premier extrait, révélateur, avec maman qui intime: "Sing it right!" avant qu'une voix de petite fille fredonne. Puis le titre se ferme sur le message qu'elle envoie à son père à l'époque:"I Think about... Do you know what I think about?... I think I love youuuu"...

    "Now what?", qui donne son titre à l'album, est à nouveau un format de chansons dans laquelle Lisa excelle à présent: la ballade à mi-chemin entre country et pop, aérienne, confidentielle, mettant les mots en valeur avant tout. C'est sur un arrangement pour cordes et guitare qu'elle signe là une composition réussie et une interprétation à fleur de peau.

     Lisa Marie Presley: Storm and Grace

     

    Autre vraie réussite de l'album, "Dirty Laundry", cover de Don Henley dont le clip offre une imagerie obsessionnelle quant à la bête noire absolue de Lisa (la presse tabloïd, les médias et leur goût du sang), avec George Michael et d'autres en guests qui défilent sur des écrans pourris pour scander avec elle: "Kick them when they're up, kick them when they're down"... La chanson en elle-même est une charge fielleuse contre les "evening news" que l'on croirait sortie de la plume de Lisa elle-même:

    I make my living off the evening news
    Just give me something
    Something I can use
    People love it when you lose
    They love dirty laundry

    Well, I coulda been an actor
    But I wound up here
    I just have to look good
    I don't have to be clean
    Come and whisper in my ear
    Give us dirty laundry

    Kick 'em when they're up
    Kick 'em when they're down
    Kick 'em when they're up
    Kick 'em when they're down

    Kick 'em when they're up
    Kick 'em when they're down
    Kick 'em when they're up
    Kick 'em all around

    We got the bubble headed
    Bleached blonde
    Comes on at five
    She can tell you 'bout the plane crash
    With a gleam in her eye
    It's interesting when people die
    Give us dirty laundry

    Can we film the operation
    Is the head dead yet
    You know the boys in the newsroom
    Got a running bet
    Get the widow on the set
    We need dirty laundry

    You don't really need to find out
    What's going on
    You don't really want to know
    Just how far it's gone
    Just leave well enough alone
    Eat your dirty laundry

    Kick 'em when they're up
    Kick 'em when they're down
    Kick 'em when they're up
    Kick 'em when they're down

    Kick 'em when they're up
    Kick 'em when they're down
    Kick 'em when they're stiff
    Kick 'em all around

    Dirty little secrets
    Dirty little lies
    We got our dirty little fingers
    In everybody's pie
    We love to cut you down to size
    We love dirty laundry

    We can do the Innuendo
    We can dance and sing
    When it's said and done
    We haven't told you a thing
    We all know that crap is King
    Give us dirty laundry

    Rien que pour le regard de la miss, le clip vaut le déplacement:

    Puis plus rien. Les fans -Lisa Marie découvre avec joie que son public ne se compose pas exclusivement de fans de son père mais bel et bien de gens qui aiment sa musique à elle- patientent puis désespèrent.

    On a de ses news par les tabloïds qui rivalisent de bon goût: à l'approche de la quarantaine, des photosLisa Marie Presley: Storm and Grace montrant une Lisa Marie ayant doublé de volume sont distribuées partout, soulignant à chaque fois qu'elle va certainement finir comme Elvis. Et finir au même âge, ça leur plairait encore plus.

    Ulcérée, Lisa pose pour un shooting avec son ventre énorme dû... à une grossesse laborieuses, car elle attend des jumeaux, chose qu'elle n'avait pas voulu rendre publique.

      

     

                    

    Lisa enceinte de jumeaux: merde aux tabloïds 

                                                                    Lisa Marie Presley: Storm and Grace                              

    25 juin 2009, Michael Jackson s'en va et Lisa publie sur son blog un texte d'une sincérité à fleur de peau, reconnaissant du même coup ses propres dérives:                                                                                    

    He Knew

    Years ago Michael and I were having a deep conversation about life in general.

    I can't recall the exact subject matter but he may have been questioning me about the circumstances of my father's death.

    At some point he paused, he stared at me very intensely and he stated with an almost calm certainty, "I am afraid that I am going to end up like him, the way he did."

    I promptly tried to deter him from the idea, at which point he just shrugged his shoulders and nodded almost matter of fact as if to let me know, he knew what he knew and that was kind of that.

    14 years later I am sitting here watching on the news an ambulance leaves the driveway of his home, the big gates, the crowds outside the gates, the coverage, the crowds outside the hospital, the Cause of death and what may have led up to it and the memory of this conversation hit me, as did the unstoppable tears.

    A predicted ending by him, by loved ones and by me, but what I didn't predict was how much it was going to hurt when it finally happened.

    The person I failed to help is being transferred right now to the L.A. County Coroners office for his Autopsy.Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    All of my indifference and detachment that I worked so hard to achieve over the years has just gone into the bowels of hell and right now I am gutted.

    I am going to say now what I have never said before because I want the truth out there for once.

    Our relationship was not "a sham" as is being reported in the press. It was an unusual relationship yes, where two unusual people who did not live or know a "Normal life" found a connection, perhaps with some suspect timing on his part. Nonetheless, I do believe he loved me as much as he could love anyone and I loved him very much.

    I wanted to "save him" I wanted to save him from the inevitable which is what has just happened. His family and his loved ones also wanted to save him from this as well but didn't know how and this was 14 years ago. We all worried that this would be the outcome then.

    At that time, In trying to save him, I almost lost myself.

    He was an incredibly dynamic force and power that was not to be underestimated.

    When he used it for something good, It was the best and when he used it for something bad, It was really, REALLY bad.

    Mediocrity was not a concept that would even for a second enter Michael Jackson's being or actions.

    I became very ill and emotionally/ spiritually exhausted in my quest to save him from certain self-destructive behavior and from the awful vampires and leeches he would always manage to magnetize around him.

    I was in over my head while trying.

    I had my children to care for, I had to make a decision.

    The hardest decision I have ever had to make, which was to walk away and let his fate have him, even though I desperately loved him and tried to stop or reverse it somehow.

    After the Divorce, I spent a few years obsessing about him and what I could have done different, in regret.

    Then I spent some angry years at the whole situation.

    At some point, I truly became Indifferent, until now.

    As I sit here overwhelmed with sadness, reflection and confusion at what was my biggest failure to date, watching on the news almost play by play The exact Scenario I saw happen on August 16th, 1977 happening again right now with Michael (A sight I never wanted to see again) just as he predicted, I am truly, truly gutted.

    Any ill experience or words I have felt towards him in the past has just died inside of me along with him.

    He was an amazing person and I am lucky to have gotten as close to him as I did and to have had the many experiences and years that we had together.

    I desperately hope that he can be relieved from his pain, pressure and turmoil now.

    He deserves to be free from all of that and I hope he is in a better place or will be.

    I also hope that anyone else who feels they have failed to help him can be set free because he hopefully finally is.

    The World is in shock but somehow he knew exactly how his fate would be played out some day more than anyone else knew, and he was right.

    I really needed to say this right now, thanks for listening.

    ~LMP

    Elle assiste aux funérailles, avec une discrétion admirable qui manque tant à la famille du défunt King of Pop. C'est simple, il n'existe que deux ou trois photgraphies volées de Lisa, planquée tout au fond, lors des funérailles.

      

    OUTLisa Marie Presley: Storm and Grace

    Nouvelle révolution dans la vie de Lisa Marie Presley, le décès deLisa Marie Presley: Storm and Grace Jackson a deux conséquences immédiates: elle quitte les USA et part s'installer dans la campagne anglaise. Elle s'achète un manoir plutôt romantique et sympa et embarque sa tribu. Exit LA dont elle ne supporte plus la mentalité viciée, les héritières écervelée sans culottes avec un Spinzer sous le bras.

    Lisa Marie Presley: Storm and GraceLisa, elle, prend son pied à s'occuper des moutons qui sont sur sa propriété (elle a sympathisé directement avec le fermier qui les élève quand ce dernier a chassé les paparazzis qui planquaient en les poursuivant avec son camion!) ou servir des fish & chips à la friterie locale. Lisa a choisit un petit village de campagne et ayant sympathisé avec le gérant, elle y a trouvé un job de contact le week end. Vous passez commander un paquet de frite le samedi, c'est Lisa Marie Presley qui vous le sert. De son propre aveux elle est archi-nulle et passe son temps à dire qu'elle est désolée à son "patron", mais elle adore y être.

    Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    Et une andalouse - boulette, c'est parti!

    Michael aurait dû rester avec Lisa, avec des choix aussi concrets et culottés, il serait toujours en vie. Elle fréquente les pubs locaux, ne vit pas planquée avec des bodygards, les villageois la connaissent, l'apprécient pour sa simplicité et lui foutent une paix dont elle ne croyait plus à l'existence. Pour eux, elle est juste une nana sympa qui place un juron toutes les trois phrases, marmaille dans la poussette et époux toujours tout près.

    Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    Le village briton où LMP a emménagé

     Lisa Marie Presley: Storm and GraceChacun sait qui elle est mais chacun a aussi compris à quel point cette jeune quadragénaire milliardaire issue d'un père de légende recherche des contacts humains, une vie normale, des échanges, des soirées arrosées entre potes.

    Ensuite, on apprend qu'elle travaille à nouveau: un album est en chantier. Enfin.

    Lisa Marie Presley: Storm and GraceStorm and Grace sort fin 2012 et il en impose: l'écriture est toujours aussi implacable et limpide, la fluidité en est remarquable et Lisa s'est adjoint la production du multiprimé T Bone Burnett, qui a compris un point essentiel: Lisa a peur de sa voix. Elle croit en ses chansons, elle sait qu'elle est capable d'écrire et de composer de (très) bons titres, mais dès qu'il lui faut donner de la voix, elle trouille. Burnett la prend à contrario, plutôt que de l'aider à étouffer sous des couches de pistes, il épure au maximum et lui offre un son rootsy, blues, pop teinté de bluegrass, bref, Presley voit se construire autour de ses chansons une architecture qui ne peut que lui parler, car c'est celle de ses gênes, celle que son père à manipulée en tous sens, loin de la sophistication made in LA, un son intensément enraciné dans ses origines sudistes. Un comble, c'est une équipe britannique qui comprend la direction à prendre et la lui offre sur un plateau. Du coup, Lisa ose enfin chanter, et le résultat est réjouissant.

    Côté plume, l'auditeur attentif remarque une position immédiate: la scientologie, c'est terminé. Lisa a troussé des vers froids et mordants, en truffant ses textes de termes propres au langage de la secte: disruption, transgressive, suppressive sont des codes à peine masqués pour régler ses comptes. Plusieurs titres en sortent marqués, "so long" en forme de déclaration d'adieu ou encore le single envoyé en ouverture de l'album, "You ain't seen nothing yet":

    Lay down the law, don't make a sound
    Just critical, just going down
    I don't belong, I've lost the plot
    Not gullible, can't be what I'm not

    You can think that I'm evil and I'm off the rails
    You ain't seen nothin' yet

    If I don't get with your system then I'm sure to fail
    Well you ain't seen nothin' yet

    Lay down the truth, don't make a sound
    Just a piece of fruit who's hit the ground
    I don't respond, I've lost the plot
    Unethical, not what I thought

    You can think that I'm evil and I'm off the rails
    You ain't seen nothin' yet

    I'm a bit transgressive and suppressive as well
    Well you ain't seen nothin' yet

    Am I a disruption to your corruption?
    You ain't seen nothin' yet

    You can think that I'm evil and I'm off the rails
    You ain't seen nothin' yet

    If I don't get with your system then I'm sure to fail
    You ain't seen nothin' yet

    No longer elated, now you're frustrated
    You ain't seen nothin' yet

    You can think that I'm evil and I'm off the rails
    You ain't seen nothin' yet

    If I don't get with your system then I'm sure to fail
    Well you ain't seen nothin' yet

    You can think that I'm evil and I'm off the rails
    You ain't seen nothin' yet

    If I'm a bit transgressive and suppressive as well
    You ain't seen nothin' yet.

      Le clip, excellent, offre une photographie trouble et aquatique, avec un scénario transparent: on y voit Presley, trimballant une caisse derrière elle dans un village sans âge, se frayant un chemin au travers des groupes compacts de gens qui l'ignorent, puis vider un a un le contenu de la malle, en jetant les objets à l'eau. Des chaînes, une photo de papa, tout y passe. Lisa Marie Presley: Storm and Grace

      

    Storm and Grace consacre une écriture résolument particulière et donc un vrai talent. Lisa apparaît plus mûre, parfois appaisée, même si certains démons ne sont pas morts, loin de là. Avec une lucidité cruelle, dans "sticks and stones", elle scalpe sa mince notoriété d'artiste à la place de ceux qui sont déjà prêt à le faire ou l'on déjà fait, montrant par la même occasion qu'elle n'est dupe de rien malgré sa position privilégiée. On l'écoute dérouler un texte effarant de franchise brutale sur une musique aussi crytpique qu'efficace:

    (http://www.youtube.com/watch?v=eyRzqYLwOwY&list=AL94UKMTqg-9DSugaL1HNdpSyFq_9YYfVd)

    That girl I’ve seen her
    I don’t care for her at all
    She got a silver spoon
    And attitude,
    She got a wall
    Why is she doing this,
    Why is she doing that
    She never smiles
    It’s all her fault 
    If everything went bad

    You can take my place
    You’d do it better anyway
    But you better hide your bones
    From all the sticks and stones
    So they don’t break


    Too bad
    She ain’t just like her daddy
    Oh what a shame
    She’s got no talent of her own
    It’s just her name
    She looks bad,
    She looks mad
    Why is she saying that
    Why is she so angry and so mean?
    I just don’t understand

    La version live offre enfin à entendre une artiste vocalement enfin "décoincée" prenant son envol, qui démarre le titre en gueulantes accapella: "Taaaake... My Plaaaace... you'd do it better anyway!",  avant de tenir fort bien la route face à un arrangement pourtant bien présent. On regrette que Lisa ne se pose pas plus en marketing efficace, car il y a matière (http://www.youtube.com/watch?v=ZrgrCta8sM4)

    L'ensemble de l'abum offre une ambiance nettement plus délicate que les précédents, accoustique, posant les mots et la voix comme une priorité d'expression. Burnett a visé juste du début à la fin. Dans les titres les plus doux, Lisa excelle à faire passer l'émotion, l'uppercut au détour d'une phrase, inattendu, nostalgique, cicatrice ou blessure ouverte.

    Rien qu'avec un simple titre comme "How do you fly this plane?" tout est dit. La composition de "Forgiving", l'une des toutes belles réussites de l'album, fait tournoyer le banjo cajun, la rythmique binaire chère à papa, évoquant tout autant le bayou que les trottoirs délavés de Memphis, le tout portant un texte sur le pardon, sur le désir de rédemption et le duel que chacun vit face à soi-même:

    There was once a friend inside of meLisa Marie Presley: Storm and Grace
    But lately I see there's an enemy
    I fight, I kick, I yell, I scream
    What is happening but no one hears me
    And as I go along I'm finding
    The friends I thought I had
    They weren't good friends at all
    No I don't really need reminding
    I'm much too jaded and I'm much too cynical

    Ailleurs, elle laisse à nouveau planer le fantôme de son père dans ce qui est sans doute l'un de ses plus beaux titres tous albums confondus: "Heartless". Terminée la colère, finie la rage. Avec le recul nécessaire, Lisa Marie regarde les arbres du parc de Graceland perdre leurs feuilles dans le vent du Tennessee comme le faisait son père sous le regard de sa petite fille; elle observe les saisons, le charme invraisemblable de la campagne anglaise pour cette femme qui fait partie du patrimoine culturel américain; ses enfants lui parlent, sa vie lui parle, ses émotions lui parlent et c'est enfin un accouchement en chanson longtemps espéré qui offre une complainte tendre, cruelle et d'une absolue solitude dans laquelle ce n'est plus son père qu'elle évoque, mais sa présence fantômatique et permanente dans sa vie, dans ces moments où elle a enfin appris à écouter le silence:

    I watch you in the morning but you would never know Lisa Marie Presley: Storm and Grace
    I watch you like a Satellite though I let you go
    I will be watching you, I know you're watching too
    A whisper in the hallway, corners of my mind
    I hear you out there whispering but you can't read the signs,
    I hear you whispering, I hope you're listening

    I'm Heartless
    I'm Heartless
    I'm Heartless again

    I wish I'd been a runner so I could run from you
    I made a million wishes but not one of them came true
    I keep on wishing you, you keep on wishing too
    I pray for resolution but it will never come
    I want to wake up free of you not knowing where you've gone but I wont let you through
    Why would I wait for you

    I'm Heartless

    Oh nail it to your heartbeat nail it to your soul
    Oh blame it on the surface you don't need to know

    I'm Heartless
    I'm Heartless
    I'm Heartless again  

    "Just a dream", dans la même lignée, résonne comme une confession sépulcrale, entre rêve et éveil, sur une composition magistrale de douceur et de tact.

    Elle part en tournée, aux USA, en Angleterre et en Australie. Elle propose un set quasi-exclusivement dédié au dernier album, ne reprenant que Lights out en rappel. C'est dommage. Elle semble regretter certains titres outrancier (Idiot, Sinking in et bien d'autres) à la production plus chargée et plus rock. Mais ce mélange de sophistication des débuts et de simplicité du dernier album est justement un reflet assez fidèle de ce qu'elle est, de ce qu'elle a vécu, de ce qu'elle donne. Une part existe mieux avec l'autre, elles se complètent de façon cohérente et justifiée.

     

    L'air de rien, et avec un succès commercial correct aux USA et totalement confidentiel dans le reste du monde, elle offre en trois albums seulement une création réellement honorable, un sens des mots, une palette d'artiste sombre, désabusée. Derrière les chansons de Lisa, la petite fille couchée en chien de fusil devant la porte de son père endormi s'exprime, la jeune femme qui épouse Michael Jackson en devenant du même coup une demi-dingue pour la planète entière gueule, l'adolescente en chute libre trouve mots et sons pour exprimer cette position absolument unique qui est la sienne: je suis la fille d'Elvis Presley, ouais, celui-là, et tiens, au fait, le milliard sur lequel je suis assise, mon manoir en Angleterre, ma maison à Hawaii, le manoir à Memphis, et tout le reste, ça m'a pas empêchée de m'engluer dans une existence vide de sens. Take my place.Lisa Marie Presley: Storm and Grace

    On ne peut que souhaiter à Lisa d'écrire encore, d'oser, de ne pas s'arrêter.

    D'une part parce qu'elle a fait la preuve qu'elle est une femme et une artiste sensée, équipée d'un cerveau et que malgré les bouillonnements et les perditions de ce dernier à certains moments de sa vie, elle a su se montrer entière, loyale et franche.

    D'autre part parce qu'un public fidèle lui est désormais acquis. Rien à voir avec la gloire planétaire de son paternel, il s'agit d'un succès confidentiel mais critique, objectif, basé sur ses qualités propres et son talent.

    C'est là sa plus grande victoire.

    S'il était encore de ce monde, Daddy serait heureux. Enfin.

    Lisa a donc accompli sa mission.Lisa Marie Presley: Storm and Grace

     

     

     

     


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