• Michael Jackson: cold case

     

     

    Michael Jackson: cold case

    Vous trouverez sur l'ensemble du web, parfois dans des articles de journaux sérieux, l'affirmation que Jordie Chandler, au lendemain du décès de Jackson, aurait avoué lors d'une interview qu'il avait menti, que ce dernier ne l'avait jamais molesté. C'est totalement faux. Jordie Chandler n'a jamais donné la moindre interview -l'arrangement conclu en 1993 le lui interdit, que ce soit pour accuser ou réfuter, sans parler des évidentes conséquences légales qu'un tel aveu aurait sur sa situation: l'estate se retournerait contre lui illico. Cette rumeur est partie d'un site qui a créé un hoax ayant décuplé sa fréquentation de 200% et est considérée comme un fait avéré aujourd'hui. Rien n'est plus faux.

    Est-ce à dire que je considère MJ comme coupable de ce dont on l'a accusé?

    Non, je n'étais pas là pour le voir, je n'en sais rien. Mais ce qui précède est un fait.

    Consacrer une chronique à Michael jackson est la mission la plus ardue que votre serviteur se soit infligée dans le contexte de ce site.

     

    Il suffit de taper son nom sur Google pour être submergé d'informations dans lesquelles il est devenu pratiquement impossible de faire le tri. 

    Face à l'obligation et au désir de procéder autrement, il me fallait préciser que tout ce qui suit est vrai. Soit parce que votre serviteur l'a vécu (j'ai suivi les aventures de MJ depuis 1988) ou a contacté les intéressés de lui-même afin de vérifier, soit parce que les sources ont été recoupées à de nombreuses reprises par des auteurs dignes de foi, soit parce qu'elles ont été explicitées sous serment, soit évidemment parce que Jackson en aura fait l'aveu.

    Il a fait basculer la musique moderne dans l'ère du marketing total.

    Reprenant tout ce qui avait été fait et le perfectionnant avec génie, flair et culot. Exhibant une créativité renversante et authentiquement géniale elle aussi. Musique en béton, production en béton, interprète en béton, style en béton, pas un aspect de son oeuvre studio entre 1978 et 1997 qui ne soit tout simplement parfait (concernant la scène le bilan est plus mitigé, nous y reviendrons, la messe fut dite dès 1988). Il fut l'un des rares véritables génies -terme galvaudé- du XXème siècle en musique contemporaine, alliant précocité et instinct, idées novatrices ou carrément révolutionnaires et qualité -voire virtuosité- artistique au sommet. Mais aussi folie croissante, instabilité et fatalement le double visage du génie: une autodestruction de ce qu'il fait dans une démarche commune: créer, détruire, créer à nouveau, détruire, jusqu'à l'extinction de la flamme dans une fin de parcours indigne de son oeuvre. Les douze dernières années de Michael Jackson, artistiquement parlant, sont un radotage infligeant une interminable succession de recyclages faciles ou grossiers, utilisant des ficelles comme des lianes et révélant une inspiration désertée de toute prétention créatrice, hélas motivée par une seule et dernière obsession: l'argent.Michael Jackson: cold case

    A partir de lui, la musique devient un véritable produit de consommation de masse, mainstream, pour lequel sont échaffaudés des plans de com' et d'intoxication de marchés. La musique ne sera plus seulement musique avec ou sans succès à la clé: il faudra les contrats les plus juteux, les excès de fric les plus dingues, la contagion marketing qui permettra de vendre, vendre, vendre jusqu'à la nausée. La demi-teinte est interdite, le succès doit être garanti, il est négocié dès le départ par un artiste entouré d'une armée de juristes aux dents longues. Son mantra en 1986, exigé les yeux dans les yeux de son manager, Frank Dileo? "I want to become the greatest show on earth. And I want it 24/7".

    Il a fait exploser les nouvelles barrières raciales qui avaient été érigées dans la classification des genres et leur diffusion sur des canaux jusqu'alors scindés. Reprenant la révolution Elvisienne en sens inverse: rendre à la musique noire sa blackitude tout en la transformant en produit avant tout destinés aux blancs, le tout par un noir à l'identité brouillée. Recette idéale pour redéfinir un système de sa base aux sommets. La qualité exceptionnelle de son travail a permis ce cross-over, mais pas seulement, car l'époque du tout-au-fric et l'agressivité d'une major (CBS et Walter Yetnikoff, le patron mogul qui d'un coup de téléphone fait ou défait la fortune de ses interlocuteurs, véritable parrain, caricature de l'homme à fric, le symbole du dollars imprimé dans la rétine) ont joué un rôle également dans ce triomphe total.Michael Jackson: cold case

    Il a imposé le vidéo clip en art à part entière, amenant ce qui n'était qu'un simple support au rang d'oeuvre en soi doublée -encore et toujours- d'une arme marketing profilée comme une torpille, pensée, construite pour ratisser d'ouest en est, du nord au sud de la planète.

    Il a fait créer et nourri une image implosée et multiple, contradictoire:

    Ami des enfants innocent et naïf aux chansons violentes, perturbées ou obscènes, accusé à plusieurs reprises d'un comportement limite à leur égard.

    Mécène philantropique universel totalement dévoyé par l'argent et la plus petite possibilité d'en faire rentrer plus dans ses caisses, n'hésitant pas à charger son panel d'avocats  d'introduire une demande officielle pour faire passer son zoo privé en société de bien public afin d'en faire payer l'entretien par le contribuable, ou à injecter ses propres deniers dans ses fondations afin d'échapper à l'impôt; négociant des contrats à six zéros pour ne pas les respecter aussitôt la somme encaissée.

    Michael Jackson: cold caseMonarque autoproclamé et arrogant révélant finalement un manque de confiance en soi qui va au-delà de la pathologie.

    Reclus bizarre jurant être comme tout le monde. Mec comme tout le monde jurant être un reclus bizarre.

    Musicien de génie exploitant souvent sans vergogne nombre de ses collaborateurs avant de les jeter sans la moindre hésitation, quand il n'oublie carrément pas de les créditer dans le livret (et la déclaration de dépôt...).

    Megastar amicale avec ses fans sur des images soigneusement choisies et mises en scène à sa propre gloire. Puis, caméras éteintes, mégastar fuyant tout contact spontané avec le public, invisible, intouchable, impossible à approcher ou à entendre.

    Père attentif et jurant avoir trouvé un bonheur infini grâce à ses enfants mais drogué jusqu'aux yeux, hagard, errant de boutiques en cabinets médicaux dans les rues de Los Angeles, obsédé par un narcissisme déprimant, accros à sa clique de toubibs pourvoyeurs de cames, à son statut royal jusqu'au délire, enfermant les gosses dans un cirque de nounous et de gardes du corps chargés de veiller sur sa progéniture 24 heures sur 24, de contrôler la température des pièces, le contenu des langes, de goûter les plats...

    Il a exhibé un talent qui parfois dépassait l'entendement et le sens commun, des capacités de showman exceptionnel, couronné -par ses propres soins, rappelons-le- King et maître mais incapable de se passer de playback, poussant sur scène le lip-synch au-delà du ridicule dès 1992 ( 13 titres en playback sur 17 lors du Dangerous Tour, le sommet étant atteint en 1997 avec le History Tour, "You are not alone" et sa longue note poussée en courant, le medley "Off the wall" avec la voix de ses 21 ans, et 2 ou 3 titres exceptés, deux heures de spectacle en playback) devant des foules immenses qui l'acclament encore, répétant les mêmes chorégraphies sur trois tournées successives avec une évidente paresse et sabordant sa créativité après trois albums solos développant son génie autant que sa folie.

    Il a trahi à peu près tout ce qui pouvait compter pour lui: ses assistants, ses employés, ses fans, les causes charitables pour lesquelles il se battait, sa musique, les gens qui tiennent sincèrement à lui pour finalement ne garder qu'une cour de lèche-culs hypocrites et calculateurs, du genre de l'horripilant Christian Audigier obtenant la permission de le présenter comme son ami intime à sa fête d'anniversaire contre la modique somme d'un million de dollars. Ou de la clique d'AEG, un bal de vautours chuchotant derrière l'idole en orbite afin d'en tirer tout ce qu'ils peuvent.

    S'il fallait résumer en quelques mots Michael jackson, comme un exercice de psychologie thérapeutique: une présenceMichael Jackson: cold case extra-terrestre bien réelle, le charisme face caméra, le rythme irrésistible, la musique et la grâce de l'habiter, de l'habiller, des enfants, un tsunami de fric, de la chirurgie basculant dans la monstruosité mais lui donnant une apparence effryante autant que fascinante, des amitiés franchement douteuses, des alliances commerciales ou amicales qui filent la nausée, une obsession de contrôle, d'image, de premier plan que seule sa mort prématurée aura lissé.

    Mort, il atteint enfin son rêve absolu: vendable comme une boîte de conserve. Comme un agrément domestique. Tous les aspects les plus perturbés -et passionnants- de sa personnalité ont été lissés afin de le rendre à nouveau propre à la consommation. La coda de 30 ans de gestion image et com' erratique et démentielle qu'il a dirigé contre toute logique droit dans le mur. John Branca, chargé par testament de gérer l'Estate Jackson, s'empresse de tout mettre en oeuvre pour apurer les dettes gigantesques de feu le boss, plus de 500 millions de dollars. C'est chose faite aujourd'hui, par la grâce d'une exploitation orgiaque indécente et glauque, pas très éloignée du personnage lorsqu'il était encore en vie finalement. Tout fait farine au moulin et le principal intéressé n'étant plus là pour changer d'avis jour après jour quand à ce qu'il exige, une direction financière est enfin mise en place.

    Des associés aux amis en passant par l'inévitable famille, retour aux fondamentaux du système Jackson: du fric, du fric, du fric à ne plus savoir quoi en faire, mais avant tout du fric, unique raison de vivre, seul étalon de réussite ou de bonheur pour ces amis aux dents longues, cette famille dysfonctionnelle reflétant finalement parfaitement le comportement erratique du défunt fils ou frère.

    Michael Jackson sans l'argent, c'est une oeuvre d'art, avec son quotat de chef-d'oeuvres, de réussites, de passable qui reste de toute façon au-dessus du lot.

    Difficile cependant de regarder cette oeuvre en se soustrayant au regard permanent du Dieu dollars, Jackson étant lui-même à l'origine de ce mélange.

    Musicalement, que trouve-t-on?

    Au départ, une précocité aussi impressionnante qu'interpellante. Pratiquer le rock, la pop, le funk, le chant, la danse, le songwriting, c'est du boulot. Ce n'est en rien facile, tout y est question de maîtrise, de talent, de capacité à régénérer un domaine où tout semble avoir été dit jusqu'au prochain qui trouvera une voie originale, personnelle, efficace autant qu'esthétique, enracinnée dans des références techniquement obligatoires mais les transcendant jusqu'à donner naissance à quelque chose.

    Michael Jackson: cold caseA 7 ans, Michael Jackson est déjà professionnel. Il chante, danse, commence à composer avec un talent évident -et un plaisir qui ne l'est pas moins. Tout a été dit par le principal intéressé quand aux méthodes paternelles utilisées pour parvenir à une telle maîtrise. Tout y a été quelque peu exagéré aussi par un homme ayant le mécanisme clinique de se poser en victime permanente. Si les méthodes de papa Joe sont dures, elles ne sont pas aussi traumatisantes que la légende veut le faire croire. D'une part parce qu'un enfant traumatisé ne trace pas un chemin pareil, il finit chez la pédopsychiatre avant l'adolescence. Quand Michael se décrit en train de pleurer en regardant des enfants jouer dans la rue alors qu'il doit travailler, il fait l'impasse sur la vision de lui-même qui l'occupe, à savoir sa spécificité qui le place d'emblée, dès son plus jeune âge, au-dessus des autres. Vision qui lui plaît, qui lui semble des plus naturelles et dont il ne se départira jamais.  D'autre part, il faut garder à l'esprit que Michael Jackson a très tôt réclamé plus d'indépendance, s'est retiré du reste du groupe, du management de papa; l'audace et la foi en son talent étaient des moteurs autrement plus puissants que la crainte du père ou les regrets face à une enfance plus ou moins volée.

    Michael Jackson a joué avec des enfants de son âge malgré sa célébrité. Il n'était ni au bagne ni en orphelinat.

    Michael Jackson: cold case

    En revanche, moyen plaisant de contourner les vrais problèmes, il est vrai qu'il croît dans une famille profondément dysfonctionnelle qui va induire des perturbations importantes dès son plus jeune âge: maman soumise ou en colère, papa brutal ou câlin obsédé par l'argent (déjà), frères à des galaxies de sa sensibilité et de sa timidité. Ce cortège de disputes, de batailles parentales hurlantes et physiquement violentes, de sexe à peine dissimulé ou carrément exhibé (ses frères s'envoient en l'air dans la même chambre que le petit Michael) vont lui faire prendre une voie catastrophique: financièrement indépendant dès sa prime jeunesse, Jackson va mettre son argent au service d'un réflexe acquis: se protéger de l'extérieur, quel qu'il soit. Partant de là, la voie royale est tracée. Génie authentique ayant les moyens de s'isoler de tout, de créer un monde -et des lois- qui n'appartiennent qu'à lui, la défiance de l'autre élevée au rang de réflexe pavlovien, tout son avenir est tracé.

    Le sommet de sa créativité se situe entre 1977 et 1997. Ce qui est déjà incroyablement long.

    Michael Jackson: cold case"Off the wall" le voit gagner ses galons d'indépendance, de négociateur qui ne laisse rien à la partie adverse (Jackson, loin du complexe de Peter Pan, négocie en personne avec le pdg d'Epic, sélectionne ou vire ses collaborateurs dès cette période).

    C'est l'album de l'émancipation, du grand nettoyage. Papa Joe en manager? Dehors. L'envahissante fratrie, plus ou moins médiocre, qui ne trouve son éclat qu'en vampirisant le talent de Michael? Dehors. La direction artistique "à la Motown", avec des auteurs-compositeurs payés à la commande pour fourguer au gamin des titres qui n'ont aucune cohérence? Dehors. Un producteur dont il ne veut pas sur le dos? Dehors.

    Malin, il s'adjoint Quincy Jones et Bruce Swedien pour définir une production et un son. Ce trio va écrire des pages de musique pop intemporelles. L'album se vend, l'année de sa sortie, à dix millions d'exemplaire. C'est énorme. Sauf pour Michael, qui décide en pleurs, après avoir été snobé lors de la cérémonie des Grammy Awards (8 nominations, pour ne remporter qu'une seule statuette...) que son prochain album sera le plus vendu de tous les temps. Que sa réussite artistique autant que personnelle soit déjà extraordinaire lui parle peu et ne le satisfait en rien. Le Dieu pognon, toujours.

    Dont acte, 1982 et Michael Jackson: cold case"Thriller" sacre l'ensemble de ses qualités, perfection enfin atteinte. Pas de monstruosité, c'est la dernière fois que Michael Jackson apparaît naturellement sexy. Voilà pour l'image. Le contenu est de la dynamite que chacun connaît dès la première seconde. Un concept de pop qui va enfanter une renouvellement profond et global de l'industrie du disque. Michael Jackson: cold caseLe succès commercial (éternel étalon de réussite chez MJ) va finir par étouffer la vision artistique enthousiasmante qui fut à la genèse de l'album. L'artiste plonge dans une spirale qui n'aura de fin qu'avec son décès et colle un papier sur le miroir de sa salle de bains sur lequel il a écrit: "Cent millions". C'est l'objectif de vente qu'il s'est fixé pour le prochain album qui devra succéder à ce monstre qu'est Thriller.

      

    Michael Jackson: cold case"Bad": on débarque dans la mutation à pas légers de danseur étoile. En smooth parfaitement maîtrisé. Son glacial et colérique pour la première fois, arrangements métalliques et brutaux. L'exact négatif de Thriller, jusqu'à la pochette définitive (il suffit de les comparer l'une à côté de l'autre pour s'en rendre compte). Album réussi et différent donc, passionnant dans sa structure et sa ligne artistique. Michael sera profondément dépité de constater qu'il n'en vend "que" 20.000.000 d'exemplaires. La moitié de "Thriller". On est loin des cent millions observés des centaines de jours durant comme un mantra sacré. L'artiste appuie sur l'accélérateur question image également, faisant publier des histoires sensées tisser sa légende et entretenir un intérêt qu'il croît devoir être permanent pour sa survie. Il se détraque doucement sous les yeux du monde mais personne ne bouge, personne ne réagit. Michael Jackson: cold caseLe monarque règne à présent sur son domaine de Neverland, passe ses nuits avec des gosses, fait strictement ce qu'il veut et impose un retrait sanitaire à quiconque tente d'interférer dans son quotidien. Le charcutage facial est entamé également, dans un processus de transformation répondant à un besoin impérieux et encore mystérieux aujourd'hui. Veut-il s'éloigner de son père? Mélanger les genres masculins et féminins? Considère-t-il son visage comme une oeuvre d'art à part entière? Nul ne peut répondre. Mais nul ne peut nier l'évidence non plus: ce visage qui a tant fait parler de lui a quitté les terres de la normalité pour être soumis à des modifications effarantes et visibles. En vrai, Michael Jackson semble plâtré et sous l'épaisse couche de maquillage blafard, on perçoit des veinules bleutées, des cicatrices. Un champ de guerre.

    La tournée qui suit la sortie de "Bad" va exploser les records. Une habitude. Première en solo pour Jackson, bille en tête: "la gloire à moi tout seul", depuis le temps qu'il travaille comme un forcené pour atteindre ce degré d'achievement américain, il a bien l'intention d'en profiter. Le spectacle est quasi en live intégral. C'est la dernière fois. Le public est une espèce de monstre hurlant et est traité comme tel: parqué dans des stades gigantesques, la notion de confort ou d'accueil est absente de l'organisation, ce que la presse ne manque pas de relever, ainsi que les spectateurs les plus lucides. Le but assumé est de rassembler un monde fou, de lui asséner un show mégalomane et sans échanges, une démonstration de force exigeant du public qu'il  se prosterne. Heureusement, le concert est musicalement excellent, sa présence ne s'est pas encore dématérialisée et il insuffle une énergie hystérique à sa performance qui met tout le monde d'accord sur un point au moins: sa réputation, son succès ne sont pas du flan. Michael sème le chaos partout où il passe, n'hésite pas à exhiber son "cousin" Jimmy Safeshuck, 10 ans et blond comme les blés. ou Wade Robson, 7 ans... et dont on entendra parler 23 ans plus tard. La presse ne dit mot, les directeurs d'hôtels non plus, tout le monde se la boucle. Finalement, Bambi aime la compagnie des gosses, ce n'est pas vraiment une surprise. Et qu'il les trimballe partout comme une cour de petits pages dédiés à sa distraction n'interpelle pas... encore.

    Break: après la tournée, Michael Jackson passe beaucoup de temps à travailler à son prochain album et également à faire courir un maximum de rumeurs à son sujet. La presse ayant compris le système et son origine n'a plus peur de rien et c'est quotidiennement qu'un organe de presse dans le monde publie une énormité au sujet de Jacko. Ils se passent désormais de ses inventions à ce sujet et s'en chargent pour lui. L'image de Jackson dérive complètement et passe du doux original à une forme de tocard après lequel on peut courir. Et encore, c'est de la guimauve comparé à ce qui va lui exploser à la figure en 1993.

    Michael Jackson: cold caseEn attendant, en 1991, "Dangerous". Ou comment enfoncer le clou d'une recherche glacée de perfection, objet futuriste, synthétique et culte. Michael a largué la musicalité pop de Quincy Jones depuis "Bad", dirigeant une véritable usine de producteurs, compositeurs, arrangeurs, techniciens tous dédiés au profilage de sa bombe studio. Le résultat lui permet de maintenir son poids commercial et son avant-guarde artistique. Au détriment d'une humanité qui s'effiloche à vue d'oeil. Il se joue de l'avènement du rap et le domestique complètement, surfe sur les vagues les plus hype des tendances musicales tout en les rendant intemporelles par la grâce du style et du travail acharné. Maniaque obsessionnel, perfectionniste au dernier degré, Jackson est capable de passer de longs mois sur un simple instrument, de refaire mille fois un seul arrangement jusqu'à posséder des centaines de versions différentes d'un même titre. Il ouvre un espace d'expérimentation studio qui ne connaît pratiquement pas de limites.

    Tournée solo n°2, on prend la même recette mais radicalisée: de moins en moins live, de plus en plus virtuelle (il implémente de longues et nombreuses videos tout au long du concert durant lesquelles il n'est pas présent physiquement, il commence à abuser du playback (12 ou 13 titres sur 17) et -plus grave- personne dans la presse spécialisée ne relève que lorsque les micros sont ouverts, c'est une voix étranglée, éprouvant de très grosses difficultés de pose et de projection qui se fait entendre... Ce problème de voix, rarement évoqué, est pourtant gros comme une maison et audible sans être spécialiste. Il ne faut pas chercher bien loin: l'écoute de sa voix en live réel indique une obstruction nasale importante. Cela ne fera que croître au fil des ans, jusqu'aux enregistrements effarants de l'album "Invincible" en 2001 dans lesquels on perçoit un chanteur enrhumé, limité, handicapé dans sa fonction primale de par la plastification volontaire de son visage. Les rhinoplasties à répétition ont sapé le vecteur essentiel de l'artiste. En clair, la symbolique est forte: la folie a pris le pas sur l'artiste créateur, elle le bloque et le dévore. Mais ça passe. Incroyable. Revenons au Dangerous Tour: conditions d'accueil identiques à la tournée de 88 et le public est un troupeau vis-à-vis duquel on n'engage que le minimum absolu de considération.  La tournée fait souvent salles combles de par l'incroyable aura du personnage. A quelques détails près. Ainsi, en Belgique, s'il avait rassemblé 60.000 spectateurs sur la plaine de Werchter en 1988, ils ne sont plus que 30.000 en 1992. Sa réputation scénique est au zénith mais la réalité est malheureusement plus rude et demande de se débarasser de légendes tissées et véhiculées avec soin depuis des lustres par le biai de montages induisant une hystérie collective permanente de foules subjuguées par Wonder Michael. Sur scène, Jackson est glacial, malheureux, fermé, programmé. Et notablement "ailleurs". 2.000 ou 80.000 spectateurs, cela le laisse de marbre. Une fois encore, personne ne soulève les changements artistiquement inquiétants qui crèvent pourtant les yeux.

    Finalement, l'affaire Chandler explose dans des proportions à la mesure du personnage. La planète show-bizz est sens dessus-dessous. L'image soigneusement calibrée est souillée jusqu'à la nausée. L'emballement médiatique ne connaît plus de limites, Jackson a libéré une hydre assoiffée de sang, le sien. Il a toujours vécu la presse aux basques et aussitôt qu'il s'est démené pour devenir "bizarre" aux yeux du mondes, ce fut une véritable meute qui lui courut après. Passé l'affaire Chandler, il est pratiquement insortable, la moindre apparition vire à l'émeute. Il a beau s'en plaindre, il adore ça.

    Sa vie privée marque le pas, il épouse Lisa Marie Presley, divorce 19 mois plus tard pendant que Debbie Rowe, la suivante, porte déjà un bébé qui lui appartient, il "crée" ses enfants comme il le ferait d'un album ou d'un clip, avec un budget, un plan de conception et une promotion prévue...

    Michael Jackson: cold case"History" est lancé en 1995 avec l'énergie du désespoir, le personnage ayant publiquement basculé dans l'ambiguïté malsaine, mais on fait comme si. L'album se vend nettement moins bien, les critiques sont assassines pour la plupart. C'est immérité et ces critiques, d'un point de vue artistique, se couvrent de ridicule ("... ramassis de chansons vides à trois accords"...). Il faut faire de très grands efforts pour distinguer l'artiste du personnage et de la pompe à fric. Or, artistiquement, la tenue du disque est excellente, offrant même encore des éclairs de génie, des fulgurances pop, de très belles expérimentations R'n B urbain, une définition musicale cohérente, ultra-luxueuse et visionnaire. Michael Jackson: cold caseLe livret, colossal, fait craindre le pire en revanche. Saturé de déclarations d'amis (Taylor, Spielberg, etc) célébrant le génie et la philantropie d'un Jackson présenté comme un Dieu. Sans oublier la repro d'une lettre d'enfant demandant à Bill Clinton, le grand shérif, de faire cesser la presse et de l'empêcher de s'acharner sur le pauvre héros. Au milieu de ce fatra, explosion de dinguerie sinistre, des crayonnés de Jackson himself, remarquables par ailleurs, représentant... un enfant qui pleure et, plus dérangeant, une petite fille en slip hurlant dans un coin... On atteint la limite. Côté chansons, n'en déplaise aux médias spécialisés pour qui, à l'époque, bouffer du Jackson est devenu une religion, c'est un florilège: "Scream", "They don't care about us", "earth song", "Stranger in Moscow", "Little Susie", "D.S.", "Childhood", "Smile", autant de chefs-d'oeuvre alignés avec une maîtrise studio qui laisse l'auditeur pantois.

    Michael Jackson: cold caseNous l'avons vu, le "History Tour", festival de playback sur fond de décor absent et de mise en scène mégalomane, arpente les cinq continents et fait rentrer l'élixir dans les caisses. Pepsi s'est retirée (Jackson, depuis l'affaire, sent trop le souffre pour une boisson destinée à ratisser large) et c'est un prince Arabe, ami personnel de Jackson, qui se joint au financement -dantesque- du show.

    La première partie de tournée se passe correctement. La seconde vire au cauchemar. Le King of Pop autoproclamé s'enfonce chaque jour davantage dans une toxicomanie ravageuse, came sur ordonnances, comme Elvis avant lui. Il apparaît shooté sur scène, chaque soir l'équipe ignore si le spectacle aura lieu ou pas et au Danemark, il arrive un quart d'heure avant de monter sur scène, après que de multiples efforts aient été déployés pour le réveiller et le rendre fonctionnel.

    Seuls les fans attentifs, dans les premiers rangs, remarquent son regard parfois hagard ou des gestes mal assurés. MJ donne le change avec un professionnalisme total, personne ne peut imaginer qu'en coulisse, c'est une catastrophe qui sourd.

    Restent deux années que Jackson va consacrer au dynamitage de tout ce qui a précédé par la grâce d'un court-métrage, "Ghost", co-scénarisé avec Stephen King. Michael Jackson: cold caseIl y joue 5 personnages, règle les chorégraphies qui seront les dernières originales -et parmi les plus abouties, constituant encore une référence aujourd'hui-, un dernier moment de "jaw dropping" pour un public qui s'intéresse hélas de moins en moins à l'artiste et se passionne pour le personnage. "Ghost" le voit jouer avec ses démons,abordant au plus près un contenu autobiographique malsain, "pédocentré", un catalogue des obsessions Jacksonniennes, crachées à la gueule du monde.

      Michael Jackson: cold case    Michael Jackson: cold case

    Michael Jackson: cold case Michael Jackson: cold case  Michael Jackson: cold case 

    Et après?

    Michael Jackson: cold caseUn album de remix comprenant 5 titres essentiels pour suivre l'évolution -si l'on peut dire- du personnage à ce moment précis: les chansons de "Ghost". Entre prise de Demerol et de came ("Morphine"), baiseuse séropositive s'enfilant une queue de 18 centimètres ("Blood on the dance floor" mentionnant une "Suzie", qui revient dans un autre titre, "Superfly sister", au contenu franchement sexuel), hallucinations morbides et monstrueuses ("Ghosts") ou, coup de grâce, aveu de monstruosité et de folie hurlée ("Is it scary?") avec un Jackson demandant à l'auditeur:

    "Am I amusing you
    Or just confusing you
    Am I the beast you visualise?
    And if you wanna see
    Eccentric qualities
    I'll be grotesque before your eyes
                                                        Let them all materialise!

                                                        Is it scary for you baby?

                                                        Am I scary for you, boy? (...)"

    Des titres-clés, polémiques, souvent négligés voir inconnus du grand public. Et ce n'est pas le travail actuel de l'estate qui risque de chercher à les faire connaître...

    Michael Jackson: cold case2001, un album en forme de cas d'école: Invincible. Le titre promet beaucoup, le contenuMichael Jackson: cold case déçoit. Le positif d'abord: "Unbreakable", excellente, "Whathever Happens" avec Santana à la guitare, sublime et créative, "Privacy", agréable bien qu'opportuniste et révélatrice d'un état d'esprit inchangé, "Threatened", dans la lignée de "Ghost", "Morphine", "Superfly sister" ou du terrible "Is it scary?", dévoilant des pans autobiographiques avec un Jackson vomissant ses tripes ("A monster, that's the case / Never-Neverland, that's the place").

      

      

      

    Michael Jackson: cold caseC'est à peu près tout. Le reste? Une production visuelle cheap -c'est bien la première fois-, une design sonore se voulant branché mais se révélant laborieux, des redites caricaturales ("Cry", ersatz raté de "Earth song" sous Demerol, "You rock my world" qui recycle le style 80's MJ en creux...), une équipe de production et de composition disparate dans laquelle Jackson s'est investi ad minima. Il ne signe en fait qu'un titre seul, "Speechless". Mignon, hommage à ses gosses, mais ressucée cucul du sublime "Childhood" de l'album "History". L'évolution du look est devenue impossible, le visage est devenu inexpressif à force de liftings, injections, peelings chimiques, you name it. Les fans même sont catastrophés de constater que leur idole ne sait plus sourire en découvrant les dents... moralité: le clip de lancement de l'album, "you rock my world", le voit éviter le face-caméra comme la peste, dissimulé sous un turban et un chapeau, en ombre, de trois-quart arrière, tout pourvu que son visage n'apparaisse pas.Michael Jackson: cold case

    Puis ce fut la chute jusqu'au 25 juin 2009.

    Jusqu'à sa mort, il aligne plus de procès que de disques d'or, largue une fois pour toute la réalité, se coupe totalement de sa famille, de ses anciens amis, de ses ex, pour n'être plus qu'un être en errance cotonneuse et shootée, passant d'un pays à l'autre, promettant toujours mieux sans que rien n'arrive.

    Et retour à la case départ: on efface les errances, les confessions perturbées, le relief de l'artiste et de l'homme pour le transformer en image vide, commercialisable.

    Michael Jackson: cold case"This is it", lancé sans scrupules "pour une durée de 2 semaines seulement en salles", verra un public nombreux se déplacer pour dire au-revoir au balladin déjanté venu d'ailleurs. Souvent, ils applaudiront pendant le film, toujours après. Il règne dans les cinémas du monde entier une émotion réelle, palpable, faisant écho au vide immense que la disparition d'un créateur de cette catégorie a laissé dans le coeur de ceux qui ont aimé sa musique tout en étant largué face au personnage. Le public, plus intelligent que la presse, rend hommage au musicien unique, au chanteur, au danseur exceptionnel, écrasant une larme sur "Heal the world" ou sentant le frisson lui courir l'échine en entendant "Jam" exploser. Le film est très bon (avec une bande-son pareille, comment pourrait-il en être autrement?), mais le concert promettait un festival de playback, des effets gigantesques et kitschs cherchant à encore et toujours rouler sur "la plus grande star du monde jamais vue de tous les temps de l'univers entier". Nonobstant sa présence naturelle et l'émotion de le voir si près de la fin, un regard réaliste ne pourra que constater qu'il observe le fantôme de Jackson, un squelette au cerveau embrumé, à la gestuelle parfois brouillonne, faisant montre d'une énergie en fade-out. Ce que l'on voit à l'écran, c'est une flamme qui s'éteint sous nos yeux.

    L'extraordinaire émoi provoqué par sa mort, la façon dont il manque un peu partout, la multiplication des hommages en forme de flashmobs dans le monde entier -souvent très réussis d'ailleurs- donnent la preuve que sa musique a fait danser et rêver les peuples de la planète à l'unisson. Cette reconnaissance avouée face à un héritage musical d'exception est le plus bel hommage qui soit. 

    Et, face à un personnage aussi génial qu'incompréhensible, le seul qui vaille.

    Michael Jackson: cold case


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  • Commentaires

    1
    LOL
    Samedi 30 Août 2014 à 16:52

    je trouve que tu n'aime pas michael jackson alors qu'il ta rien fait

    2
    MSMJ
    Vendredi 26 Septembre 2014 à 20:54

    qu'elles critiques négatives... et si vous pensiez un seul instant que cet être était tout simplement différent et hyper sensible, ça ne vous est même pas venu à l'esprit !!! affligeant!!

     

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    3
    moi
    Lundi 29 Septembre 2014 à 11:31
    ce type a la classe
    4
    Lolo
    Vendredi 12 Juin 2015 à 00:21
    Bel article, première fois que je trouve cet équilibre entre reconnaissance de l'immense talent du bonhomme dans sa profession et vision lucide du personnage à la ville. Merci. Juste un désaccord sur Rock my world, resucée certes, mais cette chanson a le don de me mettre en joie.
    5
    Mardi 16 Juin 2015 à 12:09

    Merci pour votre agréable commentaire. Concernant YRMW, nous sommes d'accord. L'avantage avec la musique de Jackson étant que même quand il ne donne que 50%, on reste de toutes façons au-dessus du lot. Bonne écoute à vous :-)

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