• Stromae: " it " maker

      Stromae: tendance, darling!

      

    Durera? Durera pas? Impossible à prévoir bien évidemment, mais si l'on se pose la question assez souvent en découvrant de nouveaux artistes, force est de reconnaître qu'ils sont peu -au niveau international qui plus est- à faire une percée aussi significative en aussi peu de temps. Le tout avec un sens de l'événement qui rend probablement ses confrères verts de jalousie.

    Alors, qu'est-ce qu'il a de si formidable, ce Stromae?

    D'abord, il a les pieds sur terre, concentré. On le sent tendu vers un but: l'épanouissement de ses talents. Il semble planer dans un univers parallèle, alors qu'il y a beaucoup de professionnalisme derrière ses attitudes élastiques, ses moments de fixités; la mise en scène de ses titres ne se fait pas à la va-vite et surtout, sans le vouloir, Stromae apporte la preuve d'une réflexion tacite: il ne considère pas le simple fait d'être là comme suffisant pour donner au public ce qu'il souhaite. Il véhicule l'idée qu'il ne veut en aucun cas être assimilé à un type dont les chevilles auraient enflées mais dans le même temps se fait tacler par un restaurateur bruxellois qui le décrit comme infect et arrogant avec sa fillette de 10 ans qui ne demandait qu'un autographe (refusé) ou une petite photo (refusée) en toute fin de repas. Tout en ayant pu être observé dans le bar d'un hôtel, toujours à Bruxelles, avec une attitude simple et affable. Pour reprendre Gainsbourg, Stromae n'est pas net, c'est clair. C'est qu'il y a du relief, des choses bien et mal vécues. Son oeuvre n'exprime pas autre chose ceci dit, rien d'étonnant donc.Stromae: tendance, darling!

    Grosse tête ou pas, emmerdeur ou pas, Stromae est malin: le lancement de "Formidable" fut une idée brillante au service d'une chanson qui relève instantanément du classique. Votre serviteur prend les paris, dans 15 ans, on écoutera encore ce titre. Côté lancement, aller chercher le public en stimulant ses réflexes acquis -époque oblige- c'est à dire cancaner sur la chute alcoolisée de quelqu'un de connu- pour finalement le retourner comme une crêpe en l'ayant pris à son propre jeu, c'était vraiment bien joué. Et pas seulement marketing puisqu'il focalise une attention maximale sur un titre qui vaut la peine d'être attentivement suivi.

    Troisièmement, il compose bien: les structures de ses chansons sont intéressantes, font preuve d'une recherche sérieuse. Pour porter ses mots, Stromae ne tape pas trois accords et basta. Son truc à lui est plus proche des techniques Gabrieliennes, louchant sans complexes sur un courant World plutôt que de se cantonner à du rap ou du hip-hop. C'est intelligent, car la force mélodique de ses compositions permet à l'interprète de prendre de l'âge sans risquer la décalage fatal dans ces disciplines. Ajoutons à cela ses textes, qui se sont fait remarquer bien avant le triomphe -autant critique que commercial, 1.200.000 exemplaires de "racine carrée" vendus rien que sur la France, cela faisait belle lurette qu'un artiste n'avait pas atteint de tels sommets, ajoutez à cela la concurrence féroce du téléchargement illégal et la crise du disque en général, cela donne une idée de la performance-  clairement, il travaille un matériel destiné à se prolonger dans le temps. Exemple simple, le génial "Tous les mêmes", au clip à mi-chemin entre Jackson en pleine forme et Almodovar sous acide, le tout au service d'une mélodie injectée de salsa cubaine liftée au botox, un morceau de bravoure et de maestria:

     

    Vous les hommes, vous êtes tous les mêmesStromae: tendance, darling!
    Macho mais cheap, bande de mauviettes infidèles
    Si prévisibles, non je ne suis pas certaine
    Que tu m'mérites, vous avez d'la chance qu'on vous aime
    Dis-moi merci!

    Rendez-vous, rendez-vous, rendez-vous au prochain règlement
    Rendez-vous, rendez-vous, rendez-vous sûrement aux prochaines règles

    Cette fois c'était la dernière,
    Tu peux croire que c'est qu'une crise,
    Mate une dernière fois mon derrière
    Il est à côté de mes valises!
    Tu diras au revoir à ta mère
    Elle qui t'idéalise
    Tu n'vois même pas tout c'que tu perds
    Avec une autre ce serait pire.

    Quoi toi aussi tu veux finir maintenant?
    C'est l'monde à l'envers
    Moi je l'disais pour t'faire réagir, seulement
    Toi t'y pensais

    Rendez-vous, rendez-vous, rendez-vous au prochain règlement
    Rendez-vous, rendez-vous, rendez-vous sûrement aux prochaines règles

    Facile à dire je suis gnangnan
    Et que j'aime trop les blablablas,
    Mais non non non c'est important
    Ce que t'appelles les ragnagnas
    Tu sais la vie c'est des enfants
    Mais comme toujours c'est jamais l'bon moment
    Ah oui pour les faire, là tu es présent
    Mais pour les élever y aura des absents

    Lorsque je n'serai plus belle
    Ou tout du moins au naturel
    Arrête je sais que tu mens
    Il n'y a que Kate Moss qui est éternelle

    Moche ou belle? C'est jamais bon!
    Bête ou belle? C'est jamais bon!
    Belle ou moi? C'est jamais bon!
    Moi ou elle? C'est jamais bon!

    Rendez-vous, rendez-vous, rendez-vous au prochain règlement
    Rendez-vous, rendez-vous, rendez-vous sûrement aux prochaines règles

    Tous les mêmes, tous les mêmes, tous les mêmes et y en a marre
    Tous les mêmes, tous les mêmes, tous les mêmes et y en a marre
    Tous les mêmes, tous les mêmes, tous les mêmes et y en a marre
    Tous les mêmes, tous les mêmes, tous les mêmes!

     Deux albums jusqu'ici, "Cheese" et "Racine carrée", offrant d'autres pépites du genre ("Alors on danse", "je cours", "Quand c'est?", mélopée Evorienne sinistre sur le cancer, "Moules - frites", "Formidable" évidemment, "Papaoutai", d'un niveau Gainsbourien entre l'allitération "empapaouter" pour parler d'un père qui l'a lâché, les doigts sur lesquels on compte avant de les bouffer et une kyrielle de trouvailles réjouissantes offertes par un auteur au top de l'inspiration et de la maîtrise...) Le visuel n'est pas en reste, Stromae s'impliquant dans une conceptualisation de sa production à la limite de l'exagération, entre les formes géométriques répétées et assimilées à tous les aspects de la production du moment, le look travaillé jusqu'au détail le plus infime. Il y a du Michael Jackson chez Stromae, une facilité évidente à faire avaler et applaudir sa créativité, aussi préparée qu'elle soit. Si le succès est venu très vite, il ne donne donc pas cette impression de creux, Stromae blinde ses albums de contenu, de travail, de recherche. Dépoussiérant au passage la chanson française dans son appellation classique en la violant à coup de R&B, de Hip Hop, de dance, de gimmicks purement techno. Installé à Bruxelles et donc refusant Paris. Sorteur avec une bande de potes, écumant les boîtes. Discret cependant, voir carrément muet sur sa vie privée, ce qui lui donne une qualité supplémentaire.

     Stromae: tendance, darling!

     Maintenant, il est dans l'air du temps de crier au génie, de canoniser, tout comme de vouer aux enfers d'ailleurs, avec une célérité qui invite à la prudence. Il est trop tôt pour travestir Stromae en ce que beaucoup de médias tentent d'en faire: un génie qui redonnerait espoir en une créativité moribonde. Comme le dirait ce bon Dr Lecter, oky dooky, il sort du lot, c'est une évidence, il est intelligent, ça fait plaisir, il offre de quoi se rincer les oreilles avec gourmandise, et c'est là que les applaudissements interviennent.

     

    Mais il se retrouve également propulsé en porte-drapeau de la belgitude (dangereux ça, rien ne passe plus vite qu'une égérie, souvenons-nous à une autre époque d'une certaine Sandra Kim: passée de la mascotte à la ringarde à qui on balance des canettes sur scène, la transition fut rapide et sans pitié). Un artiste se doit de rester méfiant car le monde extérieur et ce qui le régit (pognon, flatterie, pouvoir, audimat) fera tout ce qu'il peut pour profiter sans vergogne, quitte à le laisser plus essoré qu'une lavette après utilisation. Il y a du cynisme là-dedans, du prêt-à-bouffer, une mentalité d'opportuniste qu'un artiste de la trempe de Stromae perçoit probablement, mais que le jeune gars émerveillé devant son propre succès et obsédé à l'idée de ne pas prendre la grosse tête gère probalement avec plus de difficultés.

    Entre l'engagement sincère et la promo putassière, la frontière est plus mince qu'un papier à cigarette. Idem dito quand il s'agit de d'accepter son utilisation en porte-drapeau des diables rouges, l'équipe nationale Belge. Le foot est l'expression consensuelle du divertissement populaire (et le lecteur aura compris à présent que votre serviteur n'est en aucun cas allergique à ce qualificatif) mais également un milieu et une industrie consommés de fric, d'abus, de triche, de manipulations. Pour prendre une image simple, Stromae là-dedans, c'est comme un délicat ménestrel qui croit en ce qu'il fait qui se retrouverait tiraillé entre les désidératas flatteurs d'une clique mafieuse à Vegas. Même rapport de force.Stromae: tendance, darling!

    Et fatalement, en grande majorité, le snobisme et -difficile d'éviter le terme- la bêtise des médias parisiens, persuadés de "faire" Stromae à grands coups de très énervantes comparaisons Brelienne (Brel, ça fait tellement culturel...), ce qui n'a d'autre but que de flatter l'interviewer et non l'interviewé qui n'en demande absolument pas autant.

    Espérons que l'artiste, dont l'instinct, la créativité et l'intelligence ne sont plus à prouver, sache se protéger. T'inquiète pas, Paul, savoir dire non n'est pas prétention. Quand on a du talent, être capable de refuser et protéger ce dernier n'est rien d'autre qu'un talent supplémentaire.

    Dire non au Télévie et à ses obsessions lacrymales écoeurantes et indignes n'est pas être un sale type qui a pris du melon.

    Dire non aux Diables Rouges n'est pas être un mauvais belge qui se prendrait pour la star.

    Le rôle d'un artiste n'est pas de réconcilier un pays déchiré.

    Protéger ce que vous avez créé avec un talent indéniable et une équipe que vous remerciez avec force et sans démériter, voilà qui suffit à vous garantir un avenir passionnant.

    Passionnez-nous encore.

    Et dites non, s'il vous plaît.

      


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